Évitement de l'impôt sur les sociétés

The Missing Profits of Nations


Document de recherche de Thomas Tørsløv, Ludwig Wier et Gabriel Zucman mis à jour en 2020

Résumé

Tørsløv, Wier et Zucman estiment l’ampleur du transfert de bénéfices vers des juridictions à faible fiscalité par les entreprises multinationales (EMN) en se basant sur des données macroéconomiques, à savoir les statistiques sur les filiales étrangères (FATS) et les balances bilatérales des paiements. Les données révèlent que les filiales des EMN dans les paradis fiscaux sont beaucoup plus rentables que les entreprises locales. Cela ne peut s’expliquer par le fait que les EMN sont en général plus rentables, puisque les EMN dans les pays non paradis fiscaux sont moins rentables que les entreprises locales. En outre, la rentabilité moyenne des entreprises locales est similaire dans les paradis fiscaux et dans les pays non paradisiaques. Cela suggère que l’activité économique n’est pas généralement plus rentable dans les paradis fiscaux, mais que les bénéfices disproportionnés des EMN dans les paradis fiscaux peuvent s’expliquer par le transfert de bénéfices.

Sur la base de l’écart de rentabilité observé, les auteurs estiment qu’en 2015, 616 milliards USD sur 1,7 trillion USD de bénéfices des multinationales (soit 36%) ont été artificiellement transférés vers les paradis fiscaux. Ce résultat est cohérent avec le niveau anormal des paiements transfrontaliers propices au transfert de bénéfices reçus par les paradis fiscaux. Ces transactions transfrontalières à haut risque comprennent les paiements de redevances, les recettes d’intérêts intragroupes et certains services (financiers, de siège social et de technologie de communication, etc.) Les données bilatérales sur l’origine de ces paiements à haut risque permettent aux auteurs de proposer une répartition géographique des bénéfices transférés et des pertes de recettes de l’impôt sur les sociétés associées. Par exemple, si 30 % des paiements à haut risque reçus par les îles Caïmans proviennent des États-Unis, ces derniers se voient attribuer 30 % des bénéfices qui ont été transférés vers ce paradis fiscal.

Les résultats montrent que les pays de l’UE sont les plus durement touchés, avec environ 35 % des bénéfices transférés au niveau mondial. Par ailleurs, par rapport à la taille de leur économie, les paradis fiscaux génèrent des recettes fiscales bien plus importantes que les pays à fiscalité plus élevée, malgré des taux d’imposition sur les sociétés réglementaires et effectifs faibles.

Principaux résultats

  • 616 milliards USD sur 1,7 trillion USD de bénéfices multinationaux, soit 36 %, ont été artificiellement transférés vers des paradis fiscaux ou des juridictions à faible fiscalité en 2015.
  • Environ 35 % des bénéfices transférés à l’échelle mondiale proviennent de pays de l’UE non paradis fiscaux, tandis que 30 % proviennent de pays en développement et 25 % des États-Unis.
    80 % des bénéfices transférés hors de l’UE sont dirigés vers des paradis fiscaux de l’UE (Irlande, Luxembourg et Pays-Bas), tandis que les bénéfices transférés depuis les États-Unis sont principalement dirigés vers des paradis non européens.
  • Si l’on considère les pertes d’impôt sur les sociétés, les pays de l’UE sont les plus durement touchés, avec une réduction d’environ 20 % de ces recettes fiscales.
  • Les auteurs corrigent les statistiques macroéconomiques pour tenir compte de l’impact du transfert des bénéfices et montrent que le Japon, le Royaume-Uni, la France ou la Grèce afficheraient en fait des excédents commerciaux en 2015.

Implications politiques

  • Les auteurs remettent en question l’efficacité des réductions du taux d’imposition des sociétés, car les effets positifs attendus sur l’investissement réel ne se matérialisent pas si les multinationales réagissent simplement en transférant les bénéfices sur papier au lieu de délocaliser les actifs tangibles.
  • Le transfert de bénéfices a des effets de distorsion sur la concurrence car les taux d’imposition effectifs des multinationales sont potentiellement beaucoup plus faibles que ceux des entreprises locales.
  • Le transfert de bénéfices réduit la charge fiscale des particuliers fortunés, qui concentrent la propriété des entreprises multinationales et bénéficient ainsi du taux d’imposition effectif plus faible sur les bénéfices.
  • Les autorités statistiques nationales devraient être autorisées à échanger des micro-données sur les EMN afin de remédier aux limitations actuelles des données. La couverture des FATS devrait être élargie, et les comptes nationaux des juridictions à faible fiscalité des Caraïbes devraient être plus exhaustifs. Les registres publics des sociétés devraient inclure toutes les entreprises dont les informations sur les bénéfices sont rendues publiques au niveau des filiales.

Données

Les auteurs utilisent différents ensembles de données macroéconomiques, notamment :

  • Les données des comptes nationaux de l’OCDE détaillées par secteur qu’ils étendent en collectant manuellement les comptes nationaux officiels des paradis fiscaux non membres de l’OCDE.
  • Les statistiques sur les filiales étrangères (FATS) publiées par les principales économies de l’OCDE. [en savoir plus]
  • Les balances bilatérales des paiements fournies par le FMI et Eurostat.
  • Les statistiques sur les investissements directs bilatéraux sur la base de la propriété ultime par Damgaard et Elkjaer (2017). [en savoir plus]

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L’article original, les sources de données et les calculs peuvent être téléchargés sur le site missingprofits.org. [pdf]